Le pape François voudrait une Église synodale en perpétuelle réforme

4 avril 2023 - 4 juin 2023

Actualite Synode

Serena Noceti

Rafael Luciani

NCR (National Catholic Reporter)

17 mars 2023

Le Concile Vatican II est un concile de réforme. Nous le voyons dans les discours que les papes Jean XXIII et Paul VI ont prononcés au début de la première et de la deuxième période de ses travaux. Le premier a parlé d’aggiornamento (« mise à jour »). Le second a parlé de renovatio ecclesiae (« réforme ecclésiale »). Reprenant même une expression de Luther, le décret sur l’œcuménisme – Unitatis redintegratio – parle d’ecclesia indiget reformation (« l’Église a besoin d’être réformée »).

La forme ecclésiale vers laquelle tendait la réforme conciliaire a été décrite par l’un des esprits les plus brillants de Lumen gentium, le cardinal belge Leo Suenens. Peu après la conclusion du concile en 1965, Suenens a souligné que les deux éléments les plus riches du renouveau ecclésiologique étaient l’image du peuple de Dieu et la coresponsabilité de tous ses membres dans la mission.

En approfondissant l’esprit et la lettre du concile, le pontificat du pape François ouvre une nouvelle phase dans la réception de Vatican II et reprend l’image conciliaire d’une Ecclesia semper reformanda (« l’Église doit toujours être réformée »), comme il l’a dit dans une homélie matinale à Sainte Marthe au Vatican, le 9 novembre 2013. Quelques jours plus tard, dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, il a déclaré qu’il ne s’agissait pas seulement de réviser certaines structures de l’Église, mais d’un processus permanent de conversion ecclésiale enraciné dans l’ecclésiologie du peuple de Dieu.

François a débuté son pontificat au sein d’une Église qui commençait à devenir mondiale et culturellement polycentrique. Il inaugurait un pontificat dont les racines allaient plonger dans l’expérience ecclésiale latino-américaine. De fait son idéal de réforme provient de la réception de Vatican II par deux conférences générales du Conseil épiscopal latino-américain, communément appelé CELAM. Il s’agit de la notion de conversion pastorale.

Apparaissant pour la première fois dans le texte de la conférence du CELAM de 1992 à Saint-Domingue, en République dominicaine, elle appelle à une révision de « la praxis personnelle et communautaire, des relations d’égalité et d’autorité, des structures et des dynamiques ».

Dans le texte de la conférence de 2007 à Aparecida au Brésil, la mise en œuvre de la conversion pastorale répond au modèle de l’Église peuple de Dieu et exige « une attitude d’ouverture, de dialogue et de disponibilité pour promouvoir la coresponsabilité et la participation effective de tous les fidèles ». En particulier, les évêques appellent « les laïcs à participer au discernement, à la prise de décision, à la planification et à l’exécution » de la mission ecclésiale.

Cela ne signifie pas que François souhaite mettre en œuvre le modèle ecclésial latino-américain. Dans une interview accordée à une agence de presse argentine en juillet 2022, le pape a déclaré avec insistance :

« Les choses que j’ai faites n’ont pas été inventées ou imaginées après une nuit d’indigestion. J’ai rassemblé tout ce que les cardinaux avaient dit lors des réunions pré-conclaves, que le prochain pape devrait faire. Nous avons dit les choses qui devaient être changées ».

Le document préparatoire au processus pour le futur Synode des évêques souligne le défi que le pape a rencontré et qu’il rencontre encore aujourd’hui :

« L’Église tout entière est appelée à affronter le poids d’une culture imprégnée de cléricalisme, hérité de son histoire et de formes d’exercice de l’autorité dans lesquelles s’insèrent divers types d’abus (de pouvoir, économique, de conscience, sexuel). Une conversion de l’action ecclésiale est impensable sans la participation active de tous les membres du peuple de Dieu. »

François répond à cette réalité par une conversion synodale qui, comme le dit le document d’Aparecida, conduit à des « réformes spirituelles, pastorales et institutionnelles ».

 

La réforme est une clé synodale

Pour beaucoup, les réformes entreprises par François s’inscrivent dans le cadre du renouveau des synodes épiscopaux.

L’un des changements concerne la praxis en étendant la phase d’écoute de l’ensemble du peuple de Dieu. Les deux questionnaires des synodes de 2014 et 2015 sur la vie familiale, la préassemblée avant le synode de 2018 sur les jeunes et la consultation de plus de 80 000 personnes au cours des quelques 270 réunions préparatoires au synode de 2019 (pour les neuf pays d’Amazonie) en sont des exemples.

Aujourd’hui, cette approche est approfondie par le processus triennal en cours préparant le Synode sur la synodalité. Il s’agit de l’événement le plus important depuis Vatican II et de l’effort le plus grand que l’Église catholique ait fait pour impliquer tous les fidèles dans « l’œuvre de renouveau et de réforme ecclésiale », comme le décrit Unitatis redintegratio.

Parler d’un processus de réforme comme une clé synodale va au-delà de la réalisation des synodes. Il s’agit d’un processus de maturation de l’ecclésiologie qui trouve son fondement dans le chapitre II de Lumen gentium. Nous pouvons parler d’une réforme comme une clé synodale parce que la synodalité est la manière de constituer l’Église comme Peuple de Dieu avec la participation coresponsable de tous.

Le document de 2018 de la Commission théologique internationale définit la synodalité comme une dimension constitutive de l’Église tout entière parce qu’elle se réfère à « la manière spécifique de vivre, d’agir et de fonctionner (modus vivendi et operandi) », ce qui implique de revoir « les relations et les mentalités » et « les dynamiques et les structures de communication ».

En ce sens, la synodalité n’est pas optionnelle. Les paroles de François au diocèse de Rome en septembre 2021 sont éclairantes à cet égard :

« La synodalité n’est pas le chapitre d’un traité d’ecclésiologie et encore moins une mode, ce n’est pas un slogan ou un nouveau terme à introduite et utiliser dans nos rencontres. Non ! La synodalité exprime la nature de l’Église, sa forme, son style et sa mission. C’est pourquoi nous parlons d’une Église synodale, évitant ainsi de considérer la synodalité comme un titre parmi d’autres ou comme une manière de penser, encore moins en lui prévoyant des alternatives. »

 

Le défi de marcher ensemble

Dans son discours de 2015 à l’occasion du 50e anniversaire du synode, François a explicité cette vision et affirmé que « le chemin de la synodalité est le chemin que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire ». Il a déclaré avoir invité toute l’Église à entreprendre des démarches de consultation, d’écoute et de discernement qui contribueront à la construction d’un nouveau modèle institutionnel.

Dans le même discours, le pape l’a décrit avec les mots suivants :

« Ce que le Seigneur nous demande, en un certain sens, est déjà contenu dans le mot « synode ». Marcher ensemble – laïcs, pasteurs, évêque de Rome ». Mais qu’est-ce que cela signifie ?

Le document préparatoire du Synode sur la synodalité explique que marcher ensemble peut être compris selon deux perspectives. La première « regarde la vie interne des Églises locales » et la seconde « considère comment le Peuple de Dieu marche ensemble avec toute la famille humaine ».

Comme l’indique le document de 2018 de la Commission théologique, l’Église « manifeste et réalise concrètement sa communion en marchant ensemble, en se réunissant en assemblée et dans la participation active de tous ses membres à sa mission d’évangélisation. »

Cela implique que tout processus de réforme doit chercher à impliquer l’ensemble du peuple de Dieu, dans sa totalité, à travers des processus d’écoute, de discernement communautaire, d’élaboration et de prise de décision car, comme le soutient la commission, « la dimension synodale de l’Église doit s’exprimer à travers la mise en place et la gouvernance de la participation et du discernement capables de manifester le dynamisme de la communion qui inspire toutes les décisions ecclésiales ».

Ce pontificat a lancé un processus de renouveau ecclésial qui implique un changement dans la compréhension collective de ce que signifie être « Église Peuple de Dieu ». Il s’agit d’un défi : celui de générer de nouveaux modes de relation entre les sujets ecclésiaux (conversion), de mettre à jour des structures existantes et d’en créer d’autres (réforme) qui permettront l’exercice d’une coresponsabilité effective de tous les fidèles.

Cela requiert une nouvelle façon de procéder au niveau des institutions ecclésiales.

 

Un nouveau modèle institutionnel

François parle d’un nouveau modèle en utilisant des dynamiques communicatives. Dans son discours à l’occasion du 50e anniversaire du synode, il a déclaré :

« Une Église synodale est une Église de l’écoute… C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre … Elle est à l’écoute de Dieu, au point d’écouter avec lui le cri du peuple et elle est à l’écoute du peuple, au point de lui insuffler la volonté à laquelle Dieu nous appelle. »

L’exercice de l’écoute est indispensable à tout changement ecclésial parce qu’il part de la reconnaissance de l’identité et de la contribution propre de chaque sujet ecclésial – laïcs, prêtres, religieux, évêques et pape. Elle exprime une pratique institutionnelle qui reconnaît les relations découlant de notre dignité baptismale, la participation au sacerdoce commun de tous les fidèles et l’exercice de la coresponsabilité dans la mission.

La pratique de l’écoute active le processus de conversion et de réforme en direction d’un nouveau modèle institutionnel inspiré de ce principe fondamental : ce qui concerne tous doit être traité et approuvé par tous.

Par conséquent, dans une Église synodale, l’écoute s’inscrit dans le cadre d’un processus plus vaste, car son but n’est pas simplement de se rencontrer et de mieux se connaître, mais, comme l’a décrit François au diocèse de Rome, de discerner et d’élaborer des décisions pastorales qui nous affecteront tous, « en suivant ce que nous pouvons considérer comme le premier et le plus important manuel d’ecclésiologie, qui est le livre des Actes des Apôtres ».

En outre, il s’agit d’écouter les autres, et en particulier les pauvres, « pour savoir ce que l’Esprit dit aux Églises (Apocalypse 2, 7) » et pour trouver des façons de procéder en accord avec notre temps. L’écoute inclut donc ceux qui ont des points de vue différents, ceux qui n’ont pas été entendus ou qui sont exclus. Nous ne pouvons pas prétendre apprivoiser l’Esprit et lui dire où parler.

La synodalité est peut-être nouvelle pour nous, mais elle n’est pas nouvelle dans la longue et riche tradition de l’Église.

Nous concluons en rappelant la règle d’or de Cyprien, évêque de Carthage, qui donne un cadre d’interprétation des plus appropriés pour réfléchir aux défis d’aujourd’hui : « Ne rien faire sans l’avis des prêtres et le consensus du peuple ».

Pour Cyprien, prendre conseil auprès du presbyterium et construire un consensus avec le peuple ont été des expériences fondamentales tout au long de son exercice épiscopal pour maintenir la communion dans l’Église. Il a mis en œuvre des méthodes basées sur l’écoute, le dialogue et le discernement impliquant tous les fidèles et pas seulement les ministres ordonnés.

Aujourd’hui, François nous confie ce grand défi pour le troisième millénaire : construire une Église synodale qui vit la communion basée sur la participation et la coresponsabilité de tous les fidèles en tant que membres d’une Église Peuple de Dieu, en état permanent de conversion et de réforme.

 

Cet article fait partie de la série « 10 ans avec le Pape François ».

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